“Les camions de pompiers américains ont le sens du chrome. On construit là-bas la version définitive du camion de pompiers à partir de la version jouet. Pile à l’inverse des pratiques européennes qui s’évertuent à créer des modèles réduits d’après nos camions austères, sur lesquels même les gyrophares ont du mal à briller. Offrez un de ces jouets du type européen à votre neveu de six ans, il vous fera la moue. Thomas aime les camions de pompiers américains, en ceci qu’ils lui apparaissent comme une version exaltée d’un caprice enfantin. Alors moi qui ne suis pas avare d’exaltation, j’ai sur-le-champ proposé à Thomas une course en camion d’Amérique, pour de vrai. On s’est donc lancés, sirène hurlante, à fond les ballons, sur le projet Atomes. C’est à peu près à ce rythme que je lui ai livré la première lecture de Solyvène Targamé à laquelle il n’a rien compris si  ce n’est qu’il y était question de gazon, de sauterelles, et que plusieurs couleurs y étaient mentionnées. Moi qui avais surtout transposé mon espèce de caprice enfantin du moment, lorsque j’ai compris que Thomas n’en avait rien saisi, j’ai fait la moue. Du coup, chacun dans notre coin, on s’est attaqués au rythme que l’on soupçonnait chez l’autre : lui tentait de faire du Dziga Vertov cancéreux dans un Québec surcoloré, moi je reséquençais mon texte en couplets, prières, danses et chants afin de faire transpirer mon caprice initial. Tant et si bien qu’au final, on s’est rentrés dedans, avec nos camions rutilants et deux rythmes électrifiés. On avait construit un jouet bien organique, à mi-taille d’homme et de sauterelle.
Je me suis promené sur scène dans les images de Thomas, un peu comme si je m’étais incrusté dans la chambre de Jupiter et Sémélé préparée par Gustave Moreau : foudroyé d’éclairs colorés. C’était parfait, je ne tenais plus en place, mon texte sortait comme gueulent les sirènes de pompier à manivelle chromée. “